Edgar Jayet

Amedeo Abello ©

Si l’auteur plonge les protagonistes dans une cécité absolue, comme des êtres jetés dans la nuit cherchant à saisir quelque chose du monde, elle convoque surtout notre propre regard sur l’existence. L’obscurité nous concerne tous — l’espace et le monde nous renvoient ici autant de signes dont il s’agit de saisir le sens.

La perception du réel, ces images qui se forment dans notre esprit, rassemblant l’ensemble de nos sensations, confère au scénographe un rôle majeur dans la transmission du texte par l’espace.

Pièce symboliste, où tout est signe familier, évocation d’enjeu beaucoup plus grand que ce qui semble se dérouler sous nos yeux, je me suis interrogé sur la nature d’un dispositif scénographique pour une pièce par essence irreprésentable. Comment permettre au spectateur de saisir la portée de ce texte ?

Amedeo Abello ©

Cet espace parle de lui-même, il indique des usages, et l’on comprend vite que nous sommes tous sur scène. Le public est à nu, poreux à un texte à la signification déterminante — les acteurs eux vibrent au rythme du public, des aléas et de cette matière vivante avec laquelle travailler.

Amedeo Abello ©

« Une très ancienne forêt septentrionale, d’aspect éternel sous un ciel profondément étoilé. Au milieu, et vers le fond de la nuit, est assis un très vieux prêtre enveloppé d’un large manteau noir. Le buste et la tête, légèrement renversés et mortellement immobiles, s’appuient contre le tronc d’un chêne énorme et caverneux.

La face est d’une immuable lividité de cire où s’entr’ouvrent les lèvres violettes. Les yeux muets et fixes ne regardent plus du côté visible de l’éternité et semblent ensanglantés sous un grand nombre de douleurs immémoriales et de larmes.

Les cheveux, d’une blancheur très grave, retombent en mèches roides et rares, sur le visage plus éclairé et plus las que tout ce qui l’entoure dans le silence attentif de la môme forêt. Les mains amaigries sont rigidement jointes sur les cuisses. 

À droite, trois vieillards aveugles sont assis sur des pierres, des souches et des feuilles mortes. À gauche, et séparées d’eux par un arbre déraciné et des quartiers de roc, cinq femmes, également aveugles, sont assises en face des vieillards. Deux d’entre elles prient et se lamentent d’une voix sourde et sans interruption. </em

Une autre est très vieille. La cinquième, en une attitude de muette démence, porte, sur les genoux, un petit enfant endormi. La sixième est d’une jeunesse éclatante et sa chevelure inonde tout son être. Elles ont, ainsi que les vieillards, d’amples vêtements, sombres et uniformes. 

La plupart attendent, les coudes sur les genoux et le visage entre les mains ; et tous semblent avoir perdu l’habitude du geste inutile et ne détournent plus la tête aux rumeurs étouffées et inquiètes de l’île. 

De grands arbres funéraires, des ifs, des saules pleureurs, des cyprès, les couvrent de leurs ombres fidèles. Une touffe de longs asphodèles maladifs fleurit, non loin du prêtre, dans la nuit. Il fait extraordinairement sombre, malgré le clair de lune qui, ça et là, s’efforce d’écarter un moment les ténèbres des feuillages.« 

Maurice MaeterlinckLes Aveugles

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